lundi, février 01, 2016

Affrontement de la question

« Je crois que le cinéma européen exprime tout autant sa totalité que le russe ou l’américain, dans la mesure même où il accepte d’être, effectivement, totalement, profondément, ce cinéma du retrait (…), c’est-à-dire un cinéma où les rapports de l’individu et de la société, au lieu d’être des rapports d’échange et d’intégration, sont des rapports, non pas même d’opposition, mais des rapports de doute ; divorce serait également un trop grand mot : des rapports de doute et de suspicion. C’est sur cette notion de doute que sont fondés les films des cinéastes européens proprement dits ; mais il y a aussi deux façons de l’envisager : s’il s’agit d’un doute qui se donne lui-même comme refus (et c’est justement le reproche principal que l’on doit formuler aux mauvais imitateurs, tant d’Antonioni que de Bergman), ces films ne seront, ne pourront être que négatifs ; le doute n’est riche, et donc à ce moment plein (de nouveau) d’une totalité, que s’il est inquiet, s’il doute aussi de lui-même, s’il est doute du doute : un doute qui veut passer au-delà du doute, qui en fait l’essai sincère, passionné, angoissé, et qui n’échoue que parce qu’il bute contre une réalité extérieure, contre l’inertie du réel ; et nous retrouvons là le mur et l’épaisseur du concret. Mais cette réalité, il ne se lasse pas de l’interroger, il l’attaque sans cesse sous de nouveaux angles, il tente véritablement de la comprendre, de l’intégrer, de s’y conjoindre ; et la totalité du social et de l’individuel n’est conquise, justement, et maintenue (de façon toujours périlleuse, mais conquise et maintenue dans ce péril même), que par cet affrontement de la question – question sans réponse qui est notre réponse. »

Jacques Rivette, 1963

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